POURQUOI JE PÊCHE?
État affectif intense et irraisonné qui nous domine, mouvement affectif très vif qui s’empare de nous la veille et lors de chacune de nos sessions, affectant à la fois nos sens et notre émotivité, notre passion, la pêche, met en cause à la fois notre corps et notre âme, d’où sa puissance et sa capacité à nous motiver pour l’action, d’une manière parfois déraisonné. Fadas sur l’eau bien sûr, mais le pire (ou le meilleur ?) est que cette addiction nous poursuit jusqu’à domicile et hante nos rêves. Que ce soit à travers un amour exacerbé pour tout ce qui touche au milieu halieutique, accompagné le plus souvent pour la plus grande joie de notre compagne d’achats compulsifs déraisonnés et d’une mobilisation du petit écran pour passer de jolies soirées télévisées d’origines scandinaves, notre activité peut sembler légitimement énigmatique aux yeux d’un vacciné !
Aujourd‘hui, l’incompréhension de notre passion face aux dernières actualités la touchant de plein fouet, à savoir les différentes manifestations et révoltes de groupes extrémistes visant à réduire encore nos droits et notre liberté, m’ont amené à me questionner : Pourquoi je pêche ?
Lors d’un repas de famille ou lors d’une soirée entre amis, on vous a sans doute interrogé sur ce domaine : quel est l’intérêt d’investir un demi-millier d’euros dans un combo, d’y accrocher des leurres d’une valeur de plusieurs dizaines d’euros chacun, pour au final relâcher le poisson !? Une question qui de prime abord semble naïve, mais dont la réponse est bien plus énigmatique.
Je vais essayer ici d’y apporter mon point de vue, qui ne restera sans nul doute exhaustif, pour permettre de comprendre et surtout de faire comprendre « pourquoi j’aime la pêche. » En premier lieu je souhaiterai évoquer notre besoin d’extériorisation. La nature réduit le stress et nous aide à redonner du sens à la vie. Pléthore d’études en révèlent les avantages psychologiques et démontrent toutes que plus nous sommes proches de ce milieu, plus nous nous sentons heureux. Le milieu sauvage est, par essence, un puissant antidépresseur ; au bord de l’eau je me sens naturellement bien, aucun doute qu’être au contact de la nature favorise notre bien-être physique et psychologique (Photo 1) ; nous en sommes les premiers épicuriens. Hédoniques certes, mais engagés avant tout : rappelons ici à ces pseudo-écolos notre rôle : nous sommes les premières sentinelles du milieu, à l’affut face à toutes sortes de malveillances, sans notre présence il est certain que nos cours d’eau seraient livides aujourd’hui.
En deuxième lieu et pour faire suite à ce rapprochement avec la nature, j’associerai notre besoin de pêcher aux restes d’un instinct primitif, surement pour la plupart d’entre nous inconscient : celui de chasseur. La pêche, c’est avant tout une traque. Que l’on soit moucheur en trompant notre partenaire de jeu à travers une imitation ultra réaliste de trichoptère, pêcheur au coup en travaillant son montage pour le rendre le plus discret possible, leurriste à aborder un poste furtivement à plat ventre pour surprendre maitre Esox dans le cover ou bien carpiste doté d’une connaissance infaillible de la topographie et des cycles de circulation des cyprinidés, quel que soit notre mode de pêche on a tous ce dénominateur commun : réussir coute que coute à être plus fort que son adversaire en élaborant le meilleur stratège possible pour le dominer. (Photo 2)
Toutes ces stratégies sont réfléchies et durement élaborées (petit clin d’œil à notre précédente référence à la célèbre émission halieutique scandinave !) et provoquent lors de chaque session une montée inévitable d’adrénaline. Cette montée d’adrénaline est le plus souvent associée à une source de plaisir (libération de dopamine). Certains peuvent en devenir accros, ce qui les emmèneront sans cesse à repousser leurs limites, en quête des plus grandes émotions pour procurer le plus grand plaisir : chercher le bar dans une mer déchainée, la truite dans des zones montagneuses enclavées, le saumon au milieu d’une colonie de Grizzlis, le silure dans un fleuve en crue, le brochet dans des gravières privées…Naturellement ces limites ne sont pas les mêmes pour tous : ce qui peut paraitre normal pour les uns peut être risqué pour les autres ; c’est pourquoi je distinguerai la chose en n’associant pas systématiquement la pêche à une prise de risques.
Les montées d’adrénaline je les ai tout simplement aussi lorsque mon poisson vient gober ma mouche, taper mon leurre ; à chaque remous une question : quel poisson ? Il tire, il va casser ?! J’ai ici mon record !? A vrai dire, quels sont vos souvenirs les plus marquants, celui qui vous a fait le plus monter le palpitant ? L’énorme brochet qui s’est décroché ? Bien souvent les plus gros poissons sont ceux que l’on ne prend ni ne voit pas, chaque journée passée à la pêche est unique et peut nous ramener de belles surprises, c’est pour cela aussi que nous en sommes accros et mettons tant d’enthousiasme à y retourner pour vivre d’autres émotions !
Enfin je dirai que nous pêchons car tout simplement nous trouvons à travers cette activité un moment convivial stigmatisé de diverses affections. A l’instar de la madeleine de Proust, être au bord de l’eau nous permet de faire vivre et revivre nos premières émotions, nos premiers souvenirs, vous savez cette sortie partagée à l’aube avec notre grand père au bord d’une rivière sauvage, cette complicité créée avec le paternel qui vous a laissé épuiser sa votre première carpe, ces cessions de nuit à crapahuter dans la forêt lors de votre adolescence avec vos meilleurs amis, cette proche ouverture à la truite qui sonne les retrouvailles du groupe de copains …tant de bons souvenirs et de moments à vivre qui nous font simplement…nous sentir bien, sereins et aimer pêcher. (Photos 3&4)
Et n’oubliez pas pour notre avenir, cette appartenance à cette grande famille des « mordus » est d’autant plus importante car l’union sera la meilleure solution pour défendre notre passion !
Pour conclure mon essaie d’interprétation de « l’inexplicable », j’aimerai vous partager cet extrait du roman de Norman Maclean, qui a donné naissance au chef d’œuvre cinématographique « et au milieu coule une rivière », dans laquelle toutes mes pensées se retrouvent et qui peut être, vous laissera place à d’autres réponses : « A la fin, toutes choses viennent se fondre en une seule, et au milieu coule une rivière. La rivière a creusé son lit au moment du grand déluge, elle recouvre les rochers d’un élan surgi de l’origine des temps. Sur certains des rochers, il y a la trace laissée par les gouttes d’une pluie immémoriale. Sous les rochers, il y a les paroles, parfois les paroles sont l’émanation des rochers eux-mêmes. Je suis hanté par les eaux » …